Les énergies renouvelables au Maroc : 

un moyen de s'affranchir des puissances occidentales plutôt qu'une préoccupation climatique

Le 29 septembre 2024 - par Reinwarth Lola

Qui a encore en tête la ville d’accueil de la Conférence des Parties de 2016, la réunion annuelle des États pour fixer les objectifs climatiques mondiaux ? 


C’est notamment lors de cette rencontre que Hakima El Haite, anciennement ministre marocaine déléguée auprès du ministre de l'Énergie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement, a assuré que le Maroc était « en train d’enclencher une transformation globale de tous ses modes d’industrialisation et de consommation ». 


Il reste encore à mentionner que les femmes et hommes politiques marocains présents à cette réunion annuelle ont assuré que ce phénomène interpelle sur le changement des pratiques quotidiennes du citoyen marocain à l’égard des enjeux environnementaux.


Et pour cause, c’est au cœur de Marrakech, au centre du Maroc, que la Conférence des Parties a eu lieu cette année-là.


Le choix de la ville rouge comme théâtre des discussions et négociations est loin d’être anodin : le développement des énergies renouvelables s’est progressivement installé au cœur des priorités politiques marocaines, et les motivations d’un tel choix ne sont pas uniformes. 


Les faits parlent d’eux-mêmes : c’est dans les confins du désert bordant Ouarzazate que se situe l’une des plus grandes centrales d’énergie solaire du monde. Doté d’une puissance installée de 580 mégawatts, le complexe Noor Ouarzazate - ou « la lumière de Ouarzazate » en arabe - permet également de redynamiser les créations d’emplois mais aussi les profits des commerces de la ville voisine. 


42% de la production d’électricité du Maroc est de source renouvelable et le royaume chérifien vise le chiffre de 52% d’ici à 2030, un projet de grande envergure dans le contexte de vulnérabilité climatique du pays. 


Supervisé par l’Agence Marocaine pour l’Énergie Durable (MASEN), le Maroc se veut un partenaire fiable et contribue ainsi à rendre accessibles les données liées aux secteurs énergétiques et se dit transparent quant aux projets d’infrastructures en cours et à venir. La modernisation des réseaux, les projets de grandes installations d’énergie ainsi que les nouvelles lignes de transmissions font partie des éléments essentiels de la stratégie nationale.


Le Maroc est considéré par beaucoup de ses citoyens mais aussi au niveau régional comme un acteur à l’avant-garde d’une transition énergétique, un acteur qui priorise les énergies renouvelables dans un cadre juridique solide qu’il établit. 


Mais les politiques liées aux énergies renouvelables n’ont pas pour passion principale la protection de l’environnement : le développement du solaire et de l’éolien apparaît comme une porte de sortie de la dépendance énergétique massive du pays vis-à-vis des importations. Cela surprend peu au vu de la situation actuelle, où plus de 90 % de sa consommation d’énergie provient d’autres pays, notamment d’Algérie, ce qui a été bouleversé à la suite de la rupture diplomatique des deux dits « frères ennemis du Maghreb » en 2021. 


Cette faiblesse s’inscrit dans un contexte régional d’autant plus préoccupant que plus de 650 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. En d’autres termes, le déficit d’infrastructures énergétiques prive deux tiers du continent d’accès à des services essentiels, parmi lesquels l’eau potable,  l’éducation et les hôpitaux fonctionnels. 


Vous l’aurez compris, les investissements significatifs du Maroc dans le secteur des énergies renouvelables sont imaginés comme une lueur d’espoir pour le développement humain national et régional ainsi que comme un affranchissement de la dépendance énergétique sévère du pays.


Qui dit perspective d’avenir prospère dit économie forte. Les investisseurs étrangers plaçant des parts dans le secteur des énergies renouvelables marocaines conçoivent ce dernier comme un levier de relance économique. La MASEN a notamment obtenu, auprès d’une dizaine d’institutions internationales, un prêt d’environ 1,8 milliard d’euros. 


D’autre part, l’exemple de la loi n ° 13-09, promulguée en 2010, illustre la libéralisation du marché en question. En effet, en permettant aux producteurs indépendants d’électricité de vendre leur production à des consommateurs tout en développant leurs propres projets d’énergies renouvelables, cette disposition permet d’accroître la concurrence sur le marché, menant à plus d’efficacité et d’innovation technologique.  


Toutefois, ces ambitions de profit se heurtent aux réalités de l’état des infrastructures liées aux énergies renouvelables. En effet, la puissance installée en énergies renouvelables à travers le pays n’a atteint que 34% de la puissance totale en 2019. De plus, les pertes se creusent et le déficit de la MASEN enfle périlleusement.


Il est indéniable que, au vu des difficultés rencontrées par les infrastructures et les différents acteurs et malgré les efforts considérables fournis par le pays pour promouvoir les énergies renouvelables, les problématiques sociales impactées par le développement énergétique restent au cœur des angoisses. Cela fait partie de réalités régionales alarmantes causées par l’accès souvent limité voire inexistant à l’électricité et aux ressources essentielles desquelles l'énergie électrique permet de disposer. Par ailleurs, les pénuries d’électricité sont la cause de pertes du produit intérieur brut continental estimées entre 2 et 4% chaque année. Les conséquences sont multiples : baisse de la croissance économique, peu de création d’emplois et réduction des investissements étrangers. 


L’affaire du développement du secteur énergétique national et régional est étendue entre de nombreux autres dossiers, rendant d’autant plus complexe la mise à bien des différents projets. Isselmou Mohammed, expert-statisticien et préparateur de la stratégie mauritanienne pour la zone de libre-échange continentale africaine expliquait lors d’un de nos échanges à Nouakchott en novembre 2023 qu’« il n’était guère possible de se concentrer sur les problématiques énergétiques sans pouvoir régler des soucis intérieurs, tels que les problèmes sécuritaires. »


Une solidarité régionale semble alors cruciale, ce que le Maroc a bien compris. Le pays a réintégré l’Union Africaine en 2017 et se voit comme un médiateur entre les investissements étrangers, notamment européens vers les pays africains, y compris dans le secteur énergétique. Par ailleurs, le Maroc est un des acteurs majeurs de la conférence annuelle MSGBC Oil Gas & Power, concentrée sur le développement énergétique du bassin ouest africain.


Le Maroc voit dans le secteur des énergies renouvelables une façon de s’affirmer sur la scène internationale, comme nous le montre l’exemple de la Conférence des Parties de 2016 tenue à Marrakech, tout en se détachant d’une traditionnelle dépendance vis-à-vis des puissances occidentales. Dans son rapport sur le partenariat et la coopération internationale, le Ministère de la Transition énergétique et du Développement durable explique que le pays recherche des opportunités de coopération auprès notamment des pays asiatiques tels que la Chine. La professeure égyptienne en sciences politiques Manar Shorbagy explique dans un essai intitulé « Triangular Dynamics: US response to China’s assertiveness in the Middle East (Dynamique triangulaire : Réponse des États-Unis à l'affirmation de la Chine au Moyen-Orient) » que les pays arabes tendent à se détourner des partenaires occidentaux pour se rapprocher de la Chine, qui adopte une approche axée sur l'innovation technologique et la coopération stratégique. En mettant l'accent sur des domaines tels que l'énergie, le commerce, l'investissement et les infrastructures, souvent négligés par les pays occidentaux, la Chine attire les États arabes en promettant un développement sans ingérence étrangère.


Si l’importance donnée aux énergies renouvelables permet de penser des solutions préservant l’environnement, le secteur énergétique est avant tout pour le Maroc une fenêtre d’opportunité vers une entrée dans le rang des acteurs majeurs sur la scène internationale, le tout dans un contexte économique et social national fragilisé.


Sources